Une maladie qui permet d’en guérir une autre. Improbable ? Le parasite du paludisme pourrait pourtant détenir la solution quant à l’administration de molécules anticancéreuses directement aux cellules tumorales.

Ce n’est pas l’allié sur lequel on aurait compté, mais le parasite responsable du paludisme pourrait bien avoir un rôle à jouer dans la lutte contre le cancer. Une équipe mixte des universités de Copenhague (Danemark) et de Colombie Britannique (Canada) a identifié une protéine présente à la surface des globules rouges infestés par Plasmodium falciparum qui se lie avec les cellules du placenta. Or il se trouve que cellules tumorales et placentaires présentent des caractéristiques communes : une croissance rapide et une propension à envahir les tissus voisins. Ali Salanti et ses collègues ont donc émis l’hypothèse que la protéine identifiée dans les cellules placentaires se retrouvaient également dans les cellules cancéreuses. Il suffirait alors d’associer une molécule anticancéreuse à celle-ci qu’elle aille tout droit aux cellules tumorales,expliquent-ils dans leur étude, publiée dans Cancer Cell . De quoi diminuer les effets secondaires et les doses de médicaments administrées tout en augmentant l’efficacité du traitement…

Un mécanisme de défense pour Plasmodium

A la base, cette attraction pour les cellules placentaires est pourPlasmodium une question de survie. Lorsque le parasite passe des glandes salivaires du moustique anophèle au sang humain, il se loge tout d’abord dans le foie et s’y multiplie. Après 5,5 à 7 jours, il sort de l’organe et envahit les cellules sanguines, s’y multipliant à nouveau puis les détruisant pour en envahir d’autres, ce toutes les 48 heures. Mais les hématies ont une durée de vie limitée, environ 120 jours, de sorte qu’elles sont détruites par la rate, le foie ou la moelle osseuse. Pour échapper à la destruction, Plasmodium va induire l’expression, dans la paroi du globule rouge, d’une protéine : VAR2CSA (en abrégé VAR2). Laquelle permettra à la cellule infestée de rester dans le système sanguin. Les cellules placentaires ont une forte affinité pour ces protéines, de sorte que si la patiente est enceinte, les cellules sanguines infestés par le parasite vont investir le placenta en se liant avec un composé présent sur la cellule placentaire, un dérivé du sulfate de chondroïtine (SC). Le fœtus risque alors la mort et sa mère une anémie.

Cibler les tumeurs malignes

Avant d’envisager une quelconque utilisation contre le cancer, les chercheurs se devaient d’abord de valider leur hypothèse, à savoir vérifier que les cellules cancéreuses présentaient le même composé SC que les cellules placentaires et attireraient VAR2. In vitro, ils ont donc mis la protéine au contact de cellules cancéreuses de différents types. Celle-ci s’y fixaient dans 95% des cas (106/111). En les mettant au contact de tumeurs, le résultat était le même : VAR2 était visible dans la paroi des cellules tumorales et dans le stroma (tissu de soutien). Ainsi, sur 676 tumeurs malignes (124 carcinomes du sein invasifs, 20 sarcomes des os -tumeurs se développant à partir du tissu conjonctif osseux- et 532 sarcomes des tissus mous) on retrouvait dans en moyenne 85% des cas des VAR2 au niveau des tissus tumoraux. Autre constat fait par les scientifiques : les tumeurs bénignes fixaient bien moins le VRA2 que les malignes, en l’occurrence des tumeurs métastatiques et les mélanomes les plus invasifs.

Anticancer-VRA2, une association efficace

Dans une seconde phase d’expérimentation, les chercheurs ont exploré la possibilité d’associer VRA2 à des molécules anticancéreuses. Ils ont alors chercher à connaître ses modalités d’assimilation par l’organisme. A cette fin, ils ont associé la protéine à une molécule fluorescente puis injecté le tout dans des cellules cancéreuses humaines (cancer du côlon) in vitro. Une opération qu’ils ont répété sur des souris atteintes d’un cancer de la prostate métastatique. La molécule était internalisée en 10 minutes dans le premier cas et migrait dans la région de la tumeur en 30 minutes dans le second.

Enfin, une association molécule anticancéreuse-VRA2 pouvait être testée. Deux substances l’ont été : de la toxine diphtérique modifiée et de l’hémiasterline (composé issu d’éponges marines et actif contre le cancer de la prostate). Trois doses de toxine diphtérique étaient nécessaires à inhiber le développement de la tumeur. Une dose trop élevée pour l’homme -sur lequel la toxine aurait des effets indésirables- mais qui a prouvé l’efficacité du procédé, car les cellules saines ne présentaient ni toxicité ni anormalités. L’hémiasterline s’est montrée plus prometteuse. In vitro, toutes les cellules cancéreuses au contact du couple VRA2-hémiasterline ont été détruites. Administré à des souris présentant un lymphome ou un cancer de la prostate, les composés ont entraîné une baisse de la croissance des tumeurs. Mieux : 2 des 6 souris atteintes du cancer de la prostate furent complètement remises 32 jours après le premier traitement. Chez des souris présentant un cancer du sein métastatique (des cellules cancéreuses avaient déjà migré dans les os), ce traitement a fait disparaître, après 54 jours, toute trace de métastase chez 5/6 souris. La méthode paraît non seulement efficace, mais aussi précise. Les examens des tissus ont en effet montré l’absence de toxicité et d’anomalies chez les cellules saines. Le parasite de la malaria nous offrira-t-il un moyen de traiter le cancer de façon ciblée et efficace ?

 

Source : http://www.sciencesetavenir.fr/sante/cancer/20151014.OBS7655/un-traitement-contre-le-cancer-inspire-du-parasite-du-paludisme.html